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Le Soir: Avishai Cohen irradie au Jazz Middelheim

By Le Soir

C’est à Berchem que ça se passe. Au sud d’Anvers. Pas loin du ring, pas loin de l’E19. Une espèce d’oasis, avec le parc Middelheim, où l’on se promène au milieu des sculptures anciennes et contemporaines, et, de l’autre côté de la Beukenlaan, le parc Den Brandt.

Paradoxalement, c’est dans ce dernier que se déroule le Jazz Middelheim. Une entrée monumentale, une espèce de château tout blanc bordé d’un étang et une prairie entourée de bois. Le jazz s’y est installé. Un grand chapiteau et des tas d’échoppes à boissons et nourriture. Organisé à la flamande, c’est-à-dire sans improvisation aucune. La folie se réserve la scène unique. Oui, il n’y en a qu’une : vous ne devez pas vous précipiter d’une scène à l’autre, ni choisir l’un ou l’autre concert. Ici, vous ne ratez rien. Vous n’êtes même pas obligé de vous asseoir sous le chapiteau, vous pouvez tout aussi bien occuper la pelouse qui l’entoure. C’est ce que, beau temps aidant, une grande partie du public a fait, ce dimanche, étendant la couverture et amenant le frigo box. Depuis jeudi, le Jazz Middelheim a accueilli quelque 6.000 personnes par jour. Qui ont vibré avec John Zorn, Larry Corryell et Philip Catherine (jeudi), avec les exercices jazzo-baroques d’Eric Vloeimans, le duo Bollani-de Holanda et l’émotion sincère de Toots (vendredi), avec les musiques métissées de MixTuur et les voix de McFarlane et Conte (samedi)…

Dimanche fut une journée ensoleillée. Dans le ciel et sur scène. Trois groupes ont emmené le public loin dans le firmament, porté sur les ailes des musiques et l’énergie des émotions partagées : Flat Earth Society, Jef Neve « Sons of the new world » et, surtout, Avishai Cohen Trio.

Avishai Cohen Trio Le « thrill » de ce dimanche sous les frondaisons du Middelheim. Si le chapiteau avait applaudi Jef Neve and sons debout, il a fait un triomphe au contrebassiste israélien Avishai Cohen, à son pianiste Omri Mor et à son batteur Amir Breiser. Le public ne se trompe pas. C’est sans doute un des meilleurs concerts de cet été de festivals qu’il a entendu ce dimanche à 19 h 30. Avishai Cohen est un contrebassiste d’exception, il a une manière de jouer de son instrument qu’on pourrait qualifier de lyrique, de chanté mais qui est surtout très personnelle. Il n’hésite jamais à frapper en rythme sur le bois, à laisser les cordes vibrer seules, à lancer lui-même la mélodie. Mais ce musicien formidable ne joue pas les stars. Ce n’est pas Avishai Cohen et les autres, c’est un trio où chacun s’écoute et se respecte, où personne ne tire la couverture musicale à lui. Et c’est ce qui fait tout le plaisir à l’entendre.

Chaque membre de ce trio est magnifique. Chaque solo est un pur bonheur d’imagination légère, de joie de jouer, d’inventivité. Avishai laisse de l’espace à chacun et chacun l’occupe avec une précision, une netteté, une classe, une envergure qu’on a des difficultés à qualifier tant la musicalité est puissante. « Seven Seas », « Four Verses » montrent la versatilité du trio : la mélodie n’est pas nécessairement introduite au piano, la contrebasse peut s’en charger, le rythme n’est pas nécessairement soutenu à la contrebasse, le piano peut s’en charger. Les rôles sont souvent inversés : Omri Mor poursuit un thème obstiné au piano tout au long d’un solo de batterie, pour le développer encore, lancinant, explosant, pendant son solo à lui. Amir Breiser frappe ses fûts et ses cymbales avec distinction, sans jamais aller à l’abordage : c’est le subtil jeu des baguettes qui compte pas la force d’impact sur les peaux et les cuivres. « Les musiciens qui m’accompagnent sont des génies, lance Avishai Cohen. Ils me bottent le cul. »

Le trio se lance dans une musique orientale. « Un arrangement que j’ai écrit sur deux chansons arabes du Liban, explique-t-il. La musique, c’est mieux que la politique. » Les chansons se terminent dans une folle sarabande où le pianiste joue debout, où le contrebassiste pogote à côté de son instrument. « C’est la force de la musique, reprend-il. Je me sens béni de jouer pour vous. » Le trio est capable de tout. Du jazz, du jazz inspiré de chansons arabes. Du jazz chanté en ladino (une langue créée par les rabbins espagnols pour traduire et enseigner les textes sacrés hébreux). Avishai chante seul, accompagné par sa basse. Un vieux chant venu du Moyen Age, qui se développe, languide, pendant des minutes, et qui est soudain brisé d’un accord de piano et d’un coup de cymbales. Et c’est la danse frénétique : le trio s’emballe pour aboutir à un des plus beaux solos de batterie que j’ai jamais entendus . Sous le tonnerre d’applaudissements, salle debout, Avishai est encore venu chanter un morceau, tout beau, tout calme, un peu triste. Un final superbe pour une prestation quatre étoiles. Avishai, Omri et Amir ont joué avec leur cœur, pas avec leurs doigts. Après cela, il ne fallait plus se polluer l’oreille avec d’autres sons…

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Avishai Cohen